Merlin le désenchanteur

Publié le par La Colline

Merlin ou la terre dévastée, un mélange de burlesque médiéval et de tragédie métaphysique. La légende des chevaliers de la table ronde à l’heure actuelle, le dramaturge allemand contemporain Tankred Dorst l’a écrite en 1970, et aujourd’hui, le collectif Les Possédés la met en scène sous la houlette de Rodolphe Dana.

Ce collectif, plutôt adepte de Jean-Luc Lagarce et Tchekov, voulait « se frotter à du théâtre plus épique, plus shakespearien, plus corporel », selon les termes du metteur en scène. Et sans nul doute, les quatorze acteurs de la troupe y ont trouvé leur compte dans cette œuvre monumentale qui laisse une large place à l’imaginaire et au jeu. S’ils ont laissé de côté les combats de dragon, les batailles gigantesques et autres lubies de l’auteur, ils ont saisi autant que possible tout l’humour du texte. Des chevaliers en jupes et baskets colorés au parler familier, des danses bouffonnes sur un fond du musique moderne, et du gag et de la farce à n’en plus finir.

Alors d’entrée de jeu, oui, Merlin est drôle. Mais ce n’est pas gratuit. « Le comique, c’est une symbolique de l’enfance, de l’adolescent, de l’adulte puis de la mort. Il s’agit d’un extrême naïvété qui peu à peu va se densifier et se noircir », confesse le metteur en scène. D’ailleurs, le temps de quatre heures de jeu, le spectateur est confronté à cette double lecture : celle des histoires de son enfance, Excalibur, la quête du Graal, les amours de Guenièvre et de Lancelot et celle de l’humanité et des problématiques qui l’encerclent, les relations père/fils, le pouvoir, la sexualité, la mort, la foi…

Et d’une certaine façon, le résultat est dur et froid, comme le rappelle un décor avant tout sombre et minimaliste. « On voulait faire descendre des figures mythiques à quelque chose de plus terre-à-terre », poursuit Rodolphe Dana. La dualité est au cœur de la pièce qui ne cesse de confronter le bien et le mal, la vie et la mort, l’humain et le divin. Le combat est engagé.

Un diable vêtu de blanc, un Merlin bienfaiteur douteux, une atmosphère grise… dans cette pièce, on cultive l’ambiguïté et l’entredeux. Le conflit ne peut être résolu et c’est un goût d’inachevé, symbolisé par une partie d’échec en cours et une fin abrupte, qui laisse le supposer.

Cette humanité  dévastée a son metteur en scène : Merlin. Tout comme la pièce a son maître : Rodolphe Dana. Et aucun des deux ne laisse le spectateur être dupe. Toutes les ficelles de la construction sont mises à nu : les coulisses sont sur la scène et la régie sur le plateau. « Nous ne ferons pas croire aux spectateurs que nous sommes ailleurs qu’au théâtre (…) Abolir ce mensonge-là, sera (…) une façon de rétablir non pas une vérité mais une forme de croyance », affirme le metteur en scène. Et cette croyance quelle est-elle ? Le destin est peut-être une utopie. L’homme est lui-même maître de son monde… de son monde désenchanté.

Maylis Chauvin
étudiante en Master 1 de Journalisme au CELSA

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