"Manhattan Medea", de Dea Loher, mis en scène par Sophie Loucachevsky

Publié le par La Colline

Ainsi que le suggère le titre de la pièce, Dea Loher transpose le mythe de Médée dans le monde contemporain et plus particulièrement, dans l’univers capitaliste. Médée et Jason sont désormais deux immigrés clandestins et le roi Créon, un marchand de textile enrichi qui se fait appeler du nom, différemment mais non moins mythique, de « Sawyer ». Si les éléments de la fable originale sont conservés, la passion amoureuse, l’alliance initiale dans le crime, la folie et enfin l’infanticide, les personnages ne sont plus des héros : Médée, en dépit de son appellation récurrente par les  autres personnages de « sorcière »,  n’est qu’une pauvre femme - « voleuse, putain, dealeuse » - et Jason, un homme guidé par le désir de sûreté économique.
Sophie Loucachevsky a opté pour un espace scénique bi-frontal, la scène prenant dès lors la forme d’un corridor, lieu aux résonnances tragiques, et qui construit aussi une représentation efficace de l’underground new-yorkais – tout en évitant l’hyper-actualisation -, où la rue bornée par une porte dorée n’est plus tant le lieu de la liberté que celui de l’exclusion. L’utilisation récurrente de la vidéo mais de manière renouvelée et différemment justifiée au fil de la pièce – renvoyant tour à tour à la vidéo-surveillance, à la conscience démultipliée de Médée, à l’univers du cinéma muet - apporte une dimension esthétique intéressante à l’ensemble. Les cinq rôles de la pièce de Dea Loher sont interprétés par trois comédiens, les deux rôles masculins étant dédoublés. Médée incarnée, et réinventée sous les traits d’une matrone, par Anne Benoît est présente du début à la fin, la mise en scène lui laissant les derniers mots de la pièce en occultant le retour d’un personnage secondaire. Si les comédiens Anne Benoit et Christophe Odent (dans le rôle de Jason) effectuent un travail approfondi tant dans les modulations vocales que la gestuelle, la longue scène de duo pour laquelle Sophie Loucachevsky s’est inspirée d’un travail sur les Fragments d’un discours amoureux de Barthes, égare quelque peu, le mélange des registres – jusqu’au grotesque - estompant l’ancrage tragique au profit d’un déplacement dans la sphère de l’intime, lecture par ailleurs permise par l’investissement d’éléments biographiques dans l’écriture de cette pièce, ainsi que nous l’apprend la metteuse en scène. L’entrée en scène du personnage de Deaf Daisy, travestie sourde chanteuse de rue, auquel le comédien Marcus Borja prête sa voix et sa présence envoûtantes, introduit une sensibilité nouvelle dans la pièce. A partir de ce moment, les évènements se précipitent, le rythme se fait plus vif, « ce sera une tragédie ». Le final est à ce titre remarquable car, outre les multiples références artistiques convoquées, il parvient à concilier plaisir de reconnaissance et sentiment de surprise.


Mélanie Marquer, participante à l'atelier de critique théâtrale samedi 6 février autour de Manhattan Medea
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