Sans titre

Publié le par Théâtre National de la Colline

Libanaise exilée au Canada, Nawal meurt à 65 ans après un mutisme de cinq années qui a laissé ses enfants, Jeanne et Simon, dans un mélange d’incompréhension et d’indifférence.

Ses dernières volontés révélées par la lecture de son testament par le notaire Lebel vont y ajouter la surprise et la colère. Votre père est vivant et vous avez un frère inconnu, leur dit-elle. Et elle leur commande de partir à leur recherche pour découvrir la vraie histoire de leur naissance, de leur famille.

 

Et cette histoire est pleine de bruit et de fureur, de cris et de larmes, d’horreur absolue comme est celle de la guerre qui en est l’arrière-plan permanent. Les guerres du Liban bien sûr, que l’on peut aisément reconnaître sans même avoir à nommer des faits historiquement connus , mais plus largement un archétype de guerre et de guerre civile.

 

Un plateau presque vide, un décor réduit à sa plus simple expression, et pourtant la force de cette mise en scène est de nous rendre capable d’imaginer, de visualiser les lieux très nombreux et variés où se déroulent les chapitres de l’histoire : le bureau du notaire, un cimetière, des camps de réfugiés, une prison, un village perdu, un tribunal et bien d’autres encore.

Et une épure encore pour marquer le passé et le présent dans le simple noir et blanc des costumes.

Cette simplicité revendiquée est là pour laisser une place prépondérante au texte et aux récitants car c ‘est cela que sont les acteurs. Ils récitent, la plupart du temps face au public, très proches de la salle, et c’est bien le mode qui convient à ce texte qui reprend en l’actualisant les thèmes et la trame de la tragédie de Sophocle.

 

Seul le notaire semble un peu décalé, qui assume une triple fonction de pont entre les différentes histoires, de rappel à l’ordre et de guide pour les enfants lorsque l’accomplissement de la quête voulue par leur mère leur devient trop difficile mais aussi de soupape humoristique qui empêche d’exploser cette cocotte où s’accumulent et bouillonnent tous les faits, de plus en plus horribles à mesure que le temps de la vie de Nawal s’écoule.

Il est une forme d’homme bon et presque innocent, celui qui s’obstine contre vents et marées à voir le côté positif des choses, à envisager le futur proche et lointain comme une promesse. Et pour dire les choses trivialement, heureusement parce qu’au moins le spectateur souffle un peu de temps en temps.

 

Nawal elle, est une souffrance ambulante, qui traverse le temps et les événements marquée personnellement à chaque fois par le pire des possibles, comme si une espèce de fatalité du sort devait être son lot.

Pourtant, après le drame initial, celui de sa soumission à la règle du clan qui la verra séparée de son amour et de son enfant à naître, elle fera la démarche essentielle de l’éducation pour apprendre à lire, écrire, compter et surtout penser.

Cette volonté de s’affranchir de sa condition sociale et pas seulement de sa condition de femme dans une structure sociale qui tend à les reléguer au second plan est le moteur puissant de sa vie et de sa parole.

Elle met en avant la nécessité de la pensée et de la parole construites comme ce qui doit faire la différence entre l’homme et l’animal. C’est cette capacité à aller au-delà de la pure réaction immédiate et émotionnelle qui permet de garder sa dignité, sa raison, son humanité et enfin la possibilité de vivre en société.

Et pourtant, elle finit elle aussi par céder à la vengeance, après avoir convaincu sa compagne d’errance Sawda d’y renoncer elle-même. Toute la dualité du personnage est rendue à l’évidence dans cette scène.

 

La révolte contre l’injustice est-elle nécessairement porteuses de liberté individuelle et de progrès commun ou bien facilement enfermée dans des schémas sociaux structurels ou historiques tellement présents qu’il semble au-delà de la volonté humaine de pouvoir s’en échapper. Ici, l’appel de la violence qui semble devoir tout emporter.

 

Et la question de la responsabilité et de la façon de l’assumer ou non reste à mon sens un point vide de la pièce. Le père et le frère retrouvés en une seule et même personne, celui d’un criminel de guerre par ailleurs, est absent lors de la révélation finale, sans corps, sans âme, sans conscience, sans émotion.

 

Les enfants étaient comme des messagers les porteurs d’une lettre de leur mère, chacune à l’adresse du père / frère. Ils courent maintenant le risque qui était celui du messager de l’Antiquité, en particulier du porteur de mauvaise nouvelle, celui d’être tué pour le message.

Jeanne et Simon vont-ils être détruits ou pouvoir se construire maintenant, rien n’est moins sûr.

 

Après moi le déluge, semble dire Nawal.

 

Karim Bensmaïne
participant à l'atelier de critique théâtrale des 25 et 29 octobre 2008 autour d'Incendies de Wajdi Mouawad dans la mise en scène de Stanislas Nordey

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article